6. Dezember 2025
Cher Monsieur Darbellay

Comment voulez-vous garantir la cohésion du pays avec une telle instruction de langue totalement ratée ?

Félix Schmutz, auteur Condorcet et ancien professeur de français à Bâle, a écrit une lettre au directeur de l’éducation Darbellay, originaire du Valais.

Après l’écoute de votre interview sur la radio suisse allemande, je me permets de vous communiquer quelques réflexions au sujet de l’enseignement du français.

Felix Schmutz, Baselland: Atteindre des buts de compétence est tout simplement illusoire.

Je suis ancien professeur d’allemand, de français et d’anglais au niveau secondaire. J’ai enseigné à Bâle à partir de 1974 jusqu’en 2011. Vous pouvez vous imaginer que la langue française m’a toujours été précieuse. J’adore la littérature française, surtout les romans du 19e et 20e siècle dont je possède quelques éditions modèles de la Pléiade (p.ex. les œuvres de Ramuz).

Cela dit, je pense que vous et les autres conseillers d’Etat de la CDIP se trompent depuis toujours sur la question de l’enseignement du français en Suisse Alémanique.

  1. C’est justement la CDIP qui, en avançant le français dans les classes primaires (3e année à Bâle-ville et Bâle-Campagne), a propagé une nouvelle méthode d’instruction : Le plurilinguisme avec les manuels Millefeuilles et Clin d’œil. On a chargé les Hautes Ecoles Pédagogiques d’instruire les enseignant(e)s à fond pour s’assurer qu’ils adoptent la méthode du « bain de langue ». Les profs expérimentés se sont vite aperçus des défauts de cette théorie qui ne peut fonctionner qu’avec une formation d’immersion d’au moins 50% des leçons dans la langue cible, mais certainement pas avec 2 ou 3 heures de cours par semaine. Résultat : La mémoire juvénile de l’âge primaire ne retient pas les éléments de langues appris, cela leur entre dans une oreille et leur ressort par l’autre. Donc hélas, il n’y a pas de base solide sur laquelle vous pouvez bâtir comme vous semblez présumer ! Les profs du niveau secondaire doivent tout reprendre à zéro, et cela avec une attribution d’heures réduite parce que le total des leçons accordé au français n’a jamais été élevé.
  2. Contrairement à ce que vous pensez, toutes les évaluations effectuées depuis le début de la mise en œuvre de la nouvelle conception ont témoigné de l’échec fondamental. Deux exemples : Susanne Zbinden a comparé 500 élèves de l’ancien manuel Bonne Chance à partir de la 5e année scolaire avec ceux du nouveau manuel (début 3e année) : Résultat : Les élèves instruits avec Bonne Chance terminaient avec un succès statistiquement bien meilleur.

L’évaluation de l’année 2023 par Mme Erzinger et al. constate que la moitié des élèves n’atteignent pas les compétences fondamentales en français. Dans ce contexte, je peux vous offrir une comparaison indédite avec mon école secondaire de 2006 : En 2006 et en 2023 on a évalué la compréhension orale :

 

Niveau       WBS Basel 2006

(5 ans d’instruction)

Sekundarschule Basel 2023

(7 ans d’instruction)

   A            52% 15%
   E            73% 44%

 

Ce résultat devrait frapper chaque personne qui s’occupe de la politique de l’instruction publique. En moins de vingt ans une chute de plus d’un tiers des niveaux moyens et de base! Comment voulez-vous garantir la cohésion du pays avec une telle instruction de langue totalement ratée ?

Ne pas tenir comptes des faits, nier la réalité, chercher des excuses, comme vous l’avez malheureusement fait aujourd’hui, ne servira à rien.

  1. Quelle est la faute de la politique de langues ? A mon avis, il s’agit d’un problème de couche sociale. Les gens politiques, les chargés de cours des Ecoles Pédagogiques appartiennent à une couche privilégiée : Ils et elles ont profité d’une formation gymnasiale, la plupart ont fait des études à l’université ou à une Haute Ecole, ils proviennent de familles dotées d’intelligence supérieure. L’apprentissage de langue ne pose pas trop de problèmes. Les années de ma génération ont appris le latin sans façons. C’était la règle, et on en a profité, bien sûr. Or, dans les écoles primaires et secondaires, la population de couches moyennes ou de base domine depuis toujours. Les langues, c’est tout à fait autre chose. Les profs se voient confrontés avec le code restreint de la langue maternelle. A Bâle, la lecture de chaque texte simple en allemand exige qu’on se serve de maintes ressources pédagogiques. Enseigner le français avec l’espoir d’atteindre des buts de compétence est tout simplement illusoire.

 

Monsieur le Conseiller d’Etat Darbellay, la situation est grave. Il faut mieux écouter les enseignants qui connaissent la pratique de l’instruction et il faut une nouvelle conception. Ne pas tenir comptes des faits, nier la réalité, chercher des excuses, comme vous l’avez malheureusement fait aujourd’hui, ne servira à rien. Les parlements vont réagir comme celui de Zurich, une politique fédérale restrictive ne l’empêchera pas.

 

Recevez, Monsieur Darbellay, mes salutations distinguées.

 

Felix Schmutz

 

 

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Sandro Trunz ist Gymnasiallehrer und arbeitet derzeit an einer Brennpunktschule in Biel, zusammen mit unserem eigentlich pensionierten Condorcet-Autor Alain Pichard. Beide sind sie dem Notruf der dortigen Schulleitung gefolgt. Der grassierende Lehrkräftemangel hinterlässt Spuren, das zeigt dieses Gespräch deutlich.

2 Kommentare

  1. Je me permets d’ajouter que nos chers compatriotes commettent une erreur fondamentale. Lorsqu’il s’agit de renforcer la cohésion nationale, ce n’est pas le moment où l’on commence à enseigner une autre langue nationale qui importe, mais ce que les jeunes savent faire à la fin de leur scolarité obligatoire. Et c’est là qu’il apparaît qu’un début plus tardif avec un nombre d’heures plus élevé apporte davantage que de nombreuses années avec seulement quelques heures par semaine.
    Une analyse honnête de l’évolution des compétences des élèves dans l’enseignement des langues s’impose. Les insinuations infondées selon lesquelles un report au niveau secondaire signifierait un recul sont particulièrement déplacées. Personne ne veut affaiblir le français, bien au contraire. Mais continuer comme avant, au besoin avec l’intervention de la Confédération, ne fera qu’aggraver la situation. Nos amis romands devraient prendre conscience de leur responsabilité dans cette question.

  2. Si le type «politicien de l’éducation à la Darbellay » était répandu dans le monde du travail, d’innombrables ménages seraient inondés, car les canalisations d’eau éclatées ne seraient pas réparées. Partout en Suisse, des trains seraient renversés sur les rails, car les aiguillages défectueux ne seraient pas maintenus en bon état. Des avions accidentés se trouveraient sur les pistes de nos aéroports, car les pistes d’atterrissage endommagées ne seraient pas réparées. Et si Elisabeth Baume-Schneider était responsable du marché du travail suisse, elle interdirait par une loi fédérale toute tentative de réparer les dégâts. Quelle chance pour nous tous que la politique éducative n’ait pas une plus grande influence sur notre vie quotidienne! (Traduit de l’allemand vers le français par deepL… Pourquoi continuons-nous à apprendre des langues étrangères?)

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